Intitulée Just before Sinking, l’œuvre pas Carina Diepens est un paquet de bandes de tissu nouées, une masse dense et informe posée sur un amas de morceaux de frigolite et sur une trame de lattes de bois désolidarisée. Les bandelettes ont été découpée dans des bleus de travail, pour la plupart usagés. Mêlées à des fragments de vêtements neufs, leurs différentes patines nuancent la pièce de variations de teintes navigant du gris à l’outremer.
Le titre est un évocation du Radeau de la Méduse de Théodore Géricault (1819), dont la sculpture propose une libre interprétation. Par-delà la tragédie qu’elle documente (le naufrage de la frégate La Méduse en 1816), la toile du romantique français demeure une poignante métaphore de la détresse, de l’abandon, de l’espérance et de la précarité, traits de la condition humaine qui s’instillent dans la pratique de Carina Diepens sous différentes formes : installations, sculptures vivantes, sculptures textiles, aquarelles, vidéos. À travers tous ces support, un motif récurrent : le corps. Corps vivant mais inerte, enfoui sous une pile de tissus ou tendu contre un sac de nœuds, dans les << living sculptures >>. Corps ailleurs évaporé, mais attendu, espéré, recomposé par son enveloppe : entassements de vêtements, nouages d’effets personnels ou de costumes de travail. Le vêtement véhicule cette double parole : le souvenir de qui il habille, son usure, et, une fois vide, l’affaissement amorphe offert aux tentatives de reconstruction.
C’est alors un lourd labeur: découper des centaines de bandes de tissus et les nouer, du même geste, pendant de longues heures. Une procédure astreignante, une énergie intense et quelque peu absurde qui, appliquée aux bleus de travail, fait écho au cycle éreintant de la production, en confirme la fatale répétition, le fait miroiter dans une chaîne d’actes rituels, quasi méditatifs.Coupes et ligatures prolongent la durée de la confection puis de l’usage des textiles. Durée cette fois engagée dans le cheminement d’une guête, celle d’une figure tenaillée entre aspirations et fêlures, entre floraison et effondrement, entre prolifération et enfouissement. La couleur oscille de même : chargé de la mémoire du travail et rivé au poids de la matière, le bleu charrie ses propres évocations symboliques, attachées à l’étendu immatérielle, à la vérité, à la justice, à l’esprit.
Les coloris participe donc des multiples lignes de tension qui parcourent cet être de toile, entre matérialité et spiritualité, entre intériorité et extériorité, entre décomposition et expansion.Être précaire avant tout, errant sur un fragile esquif. Troublante image qui chavire le spectateur entre le ravissement et l’effroi, l’exaltation et la compassion.
Laurent Courtens 2009